France

Par Marie Lagrave
Lors d’une escapade en Savoie, si la belle Annecy semble un point de passage obligé, on oublie souvent sa petite sœur, la paisible Chambéry, pourtant riche d’un patrimoine historique passionnant. Depuis la résidence Arts et Vie de Samoëns, ou lors de la semaine thématique « Architecture régionale en Pays de Savoie », la Cité des Ducs vous invite à découvrir ses ruelles médiévales aux façades colorées, ses passages couverts et ses hôtels particuliers de style baroque. Après avoir flâné à loisir dans le centre historique et salué la fameuse fontaine des Éléphants, dirigez-vous vers la place Métropole pour observer la cathédrale Saint-François-de-Sales. Juste à côté d’elle, dans l’angle de la place, les portes du Musée Savoisien s’ouvrent pour vous.
Un musée à la fois centenaire et tout récent

Le Musée Savoisien a été inauguré en 1913, et pour fêter son centenaire, il s’est offert une grande rénovation. Fermé pendant huit ans, en travaux depuis quatre, il vient tout juste de rouvrir ses portes aux visiteurs curieux de découvrir l’histoire et la culture de la Savoie. Les collections ont été étendues, les espaces d’expositions repensés, et le bâtiment – un ancien couvent franciscain du XIIIe siècle – parfaitement restauré.

Lors de ma visite, au début du mois de septembre, j’ai commencé par faire le tour du cloître attenant au musée. J’y cherchais surtout l’ombre et la verdure, car nous étions alors en pleine vague de chaleur, mais le cloître permet également d’observer un peu plus le bâtiment, peu visible depuis la rue, avant d’explorer le musée en lui-même.
Une fois à l’intérieur du musée (climatisé, pour mon plus grand bonheur), je découvre un grand hall, très lumineux, qui sert à la fois d’accueil et de boutique. On m’y indique l’escalier d’honneur, où débute le parcours de l’exposition. Là, s’affichent 36 portraits de la Maison de Savoie, la fameuse dynastie qui dirigeât la région du XIIe siècle jusqu’en 1860 (année où fut signé le traité de Turin, rattachant la Savoie à la France). Le contraste entre la modernité du hall et les équipements du musée ainsi que l’escalier et ses portraits est saisissant.
Un peu d’histoire au Musée Savoisien

À l’étage, s’ouvre une première thématique, servant d’une certaine façon de fil rouge à l’ensemble, intitulée « Pouvoir et territoire » et permettant de balayer toute l’histoire – fort mouvementée – de la Savoie, du Paléolithique jusqu’à l’époque contemporaine. Repères chronologiques, cartes et de multiples objets exposent les bouleversements politiques qu’a connu ce territoire au fil du temps, du duché de Savoie à la Seconde Guerre mondiale, en passant par le traité de Turin. Parmi les objets phare de ce premier espace, je garde notamment en mémoire une pirogue datant de l’époque carolingienne, retrouvée il y a quelques années immergée dans le lac du Bourget, mais encore en très bon état.
Des fromages de Savoie aux vêtements de ski

De part et d’autre de cet espace central, s’ouvrent plusieurs pièces offrant un éclairage thématique plus spécifique. La première salle, intitulée « Ressources et alimentation » s’intéresse – comme son nom l’indique – aux ressources de la Savoie ; des pâturages qui ont notamment permis l’élaboration d’une grande variété d’excellents fromages, jusqu’aux pentes enneigées qui ont assuré la richesse de la Savoie avec l’avènement des sports d’hiver.
Après cet intermède fort appétissant, je traverse la salle « Population et circulation », pensée autour des flux migratoires qui ont transformé la Savoie. Ici, je découvre un territoire empreint des échanges entre la France, l’Italie et la Suisse, marqué par l’exode rural mais en même temps terre d’accueil pour de nombreuses populations grâce à une forte industrialisation.

Je passe ensuite à la salle « Habitat » qui me plonge tout droit dans mes souvenirs de vacances en famille aux sports d’hiver, avec la reconstitution complète d’un appartement des Arcs 1800. Une impressionnante collection de chalets-souvenir et de belles maquettes interactives complètent la thématique afin de prendre conscience de la diversité de l’architecture savoyarde.

La thématique « Croire », quant à elle, prend place, bien à propos, dans la chapelle du couvent, superbement restaurée. La chrétienté y est évidemment mise à l’honneur, mais les autres religions présentes dans la région, notamment grâce à l’immigration, sont également mentionnées.
Pour clore ce cycle, une dernière thématique, « S’habiller », s’intéresse à la mode vestimentaire et à son évolution, du costume typique des Savoyards d’antan jusqu’aux combinaisons de ski, à la fois vêtement technique et accessoire de mode.
Dernières salles
Une salle spécifique est consacrée aux peintures médiévales de Cruet, un ensemble exceptionnel de peintures murales du début du XIVe siècle illustrant le roman de chevalerie Girart de Vienne et découvert au château de la Rive à Cruet. Il s’agit du seul ensemble profane de cette période conservé dans un musée français.

Enfin, une dernière salle propose une exposition temporaire (présentée jusqu’au 31 décembre 2023) nommée « Immersions », documentant, par des photographies de l’artiste Isabelle Fournier, les travaux de restauration du musée.
J’ai beaucoup aimé cette visite du Musée Savoisien, qui propose un panorama très complet de l’histoire et de la culture de la Savoie. Les espaces sont agréables et bien pensés, les explications claires et fournies. Les maquettes interactives et les écrans tactiles en font de plus un musée résolument moderne et ludique, pour le plaisir des petits comme des grands.
À découvrir depuis la résidence Arts et Vie de Samoëns, ou lors de la semaine thématique « Architecture régionale en Pays de Savoie »
Crédits photos : © Peignée Verticale – Grand Chambéry Alpes Tourisme
Par Amandine Shirley-Levy
Bienvenue au Centre historique minier de Lewarde à la rencontre de la riche histoire des mines du Nord-Pas-de-Calais. Installé au-dessus de l’ancienne fosse Delloye, le centre vous transportera dans l’univers de la mine, depuis son riche musée jusqu’au coeur même des galeries souterraines. Enfilez votre casque, prenez votre pioche et partez à la rencontre des couloirs sinueux des mines de Lewarde !

Un peu d’histoire
Situé à Lewarde sur la fosse Delloye, le Centre historique minier fut l’un des principaux lieux d’extraction de charbon de France. Son filon ayant été exploité pendant près de 3 siècles, c’est à l’initiative des Houillères qu’en 1984 le bâtiment est converti en un lieu de conservation de la mémoire minière de la région. Le Centre historique minier de Lewarde vous accueille dans ses 8 000 m2 à la découverte du patrimoine minier du Nord-Pas-de-Calais.
Les expositions permanentes, sur les traces du charbon et des mines
À l’origine du charbon, le Carbonifère
À l’intérieur du site, sous l’immense plafond de verre, se trouve l’exposition permanente portant sur cette incroyable aventure industrielle qu’est l’extraction du charbon. La visite débute ainsi par une première thématique : “À l’origine du charbon, le Carbonifère”. Nous y apprenons comment durant cette période géologique d’il y a environ 300 millions d’années, le charbon s’est formé en quantité jamais égalée jusqu’alors. Le processus de création nous y est expliqué, de la nécessité d’une forêt dense se développant en zone marécageuse jusqu’au processus lent de transformation du bois en charbon.
Les trois âges de la mine
Cette seconde exposition nous présente au travers de nombreuses maquettes comme ont évolué les différents sites miniers de la région au cours des 270 ans d’exploitation et d’extraction du charbon.
La vie dans la cité minière
Acteur principal de la vie dans la mine, le mineur est évidemment au cœur de cette exposition. Le musée offre une déambulation au travers de différents décors, plongeant le visiteur dans des reconstitutions historiques de l’intérieur des corons (ces habitations mises à la disposition des mineurs par les compagnies d’extraction). La visite se prolonge dans différentes pièces du bâtiment reconstituant comme à l’origine le bureau du directeur, celui du géomètre ou encore du comptable chez lequel les femmes des ouvriers venaient chercher “la quinzaine” (le salaire des mineurs, qui était versé tous les 15 jours). Différents loisirs sont également présentés, du jeu de quilles à la colombophilie (lancer de colombes) qu’affectionnaient tant les mineurs pendant leur temps de repos.
Le cheval et la mine

N’oubliez pas de passer par les écuries de la mine ! Membre à part entière de l’équipe de minage, le cheval a grandement participé à l’extraction du charbon. Servant principalement à tirer les wagons, ces animaux passaient souvent leur vie entière au fond des galeries. Vous pourrez ainsi visiter les écuries et découvrir des archives étonnantes telles que des photographies illustrant la descente verticale des chevaux au fond des mines. Cette exposition permet de rendre hommage à ces animaux fidèles amis des mineurs, accompagnant leur travail et leurs peines.
La visite des galeries
La salle des pendus
Si les expositions permanentes du musée sont riches en histoire, le Centre historique minier de Lewarde offre également une expérience immersive au cœur des galeries souterraines. Avant ce grand voyage au cœur de la mine, empruntez comme le mineur d’autrefois le chemin menant au travail. Traversez tout d’abord la salle des pendus, cette incroyable salle de bain au plafond de laquelle sont suspendus les vêtements des ouvriers. Pensé pour faciliter le nettoyage de la pièce, ces crochets volants permettaient également de déposer du savon et des vêtements propres. Une fois vêtus, les mineurs se dirigeaient vers la lampisterie : à chaque début de service les ouvriers venaient chercher la lampe qui leur était attitrée afin de s’éclairer dans les mines sombres mais également de prévenir grâce à l’intensité de la flamme les coups de grisou.

Les mines
Une fois votre charlotte et votre casque de mineur sur la tête, vous êtes fin prêt à emprunter l’ascenseur en direction des mines. Avec ses 450 m de galeries visitables, la mine vous offre une découverte à travers le temps, de son chantier d’époque “Germinal” au XXe siècle, date des dernières exploitations de la mine. Au programme : une marche longeant les chemins de fer à la recherche du précieux or noir. Entre le bruit assourdissant du travail des machines, l’étroitesse des galeries et les reconstitutions grandeur nature du travail des mineurs, vous apprendrez avec votre guide tout ce qu’il faut savoir sur l’extraction du charbon. De nombreux sujets seront ainsi traités, telles que les maladies des mineurs, les accidents du travail, les règles de sécurité au sein de la mine ou encore les différentes avancées technologiques des outils de minage.

Le Centre historique minier de Lewarde constitue ainsi une immersion captivante dans l’histoire minière du Nord-Pas-de-Calais. En visitant le musée et en parcourant les galeries souterraines, vous plongerez dans l’authentique ambiance des mines, découvrant les défis, les avancées technologiques et les réalités parfois sombres qui ont marqué cette industrie au travers des âges.
À découvrir lors de l’escapade en France : Lille et les musées du Nord
Par Flavie Thouvenin
Depuis son ouverture en 2014, il s’est imposé, en à peine 10 ans d’existence, comme un incontournable dans le paysage culturel lyonnais… Le musée des Confluences figurait naturellement en tête de mon programme lors d’une récente escapade dans la capitale des Gaules ! Plus de 650 000 visiteurs ne s’y sont pas trompé l’an passé, et près de 5 millions depuis sa création : ce musée à la convergence des sciences naturelles et des sciences humaines est assurément l’un des plus fascinants de l’Hexagone, servi par un parcours muséographique exceptionnel mêlant les disciplines et les supports.

Un écrin pour le savoir
Situé dans le quartier de La Confluence, à la pointe sud de la presqu’île de Lyon, au confluent de la Saône et du Rhône, ce gros vaisseau, comme surgit des eaux, surprend par sa forme étonnante et sa façade multi-facettes aux vitres miroitantes. Conçu par le cabinet autrichien CoopHimmelb(l)au, ce « bâtiment paysage » aux dimensions imposantes (190 m de long pour 90 m de large, et 41 m de hauteur), mérite à lui seul le détour et ravit les amateurs d’architecture ! Pensé comme un pont, composé ainsi d’importants éléments en porte-à-faux, le musée se découpe en 3 grands ensembles : le Socle, qui soutient la structure, le Cristal, qui accueille le hall vitré monumental, et le Nuage qui abrite les collections permanentes et les expositions temporaires. Une véritable prouesse architecturale !


Aux origines
La genèse du musée remonte aux débuts des années 2000 avec l’amorce du projet : faire fusionner les collections du muséum d’Histoire naturelle, du musée Guimet et du Musée colonial – trois musées aujourd’hui disparus – et le fonds venu des missions catholiques de l’Œuvre de Propagation de la Foi de Lyon. L’idée est de mettre en dialogue les sciences – à la fois sciences naturelles, sciences humaines et sciences dures – afin d’apporter un éclairage pluridisciplinaire sur l’histoire du vivant et de l’humanité : un musée à la confluence des savoirs, dont le nom reflète, outre sa localisation, la mission qu’il s’est donné.
Une machine à remonter le temps
À l’intérieur, l’exposition permanente est organisée en 4 espaces qui se déploient sur 3350 m2 : il n’en fallait pas moins pour faire le récit de l’histoire de l’humanité !
La première partie “Origines : les récits du monde” fait entrer le visiteur dans le vif du sujet en tentant de répondre à la question que nous nous posons tous : “d’où venons-nous ?”. Un véritable voyage dans le temps, en quête de nos origines ! Trois reconstitutions grandeur nature d’hominidés, saisissantes, amorcent la réflexion, puis nous passons de l’origine de l’homme à l’origine des espèces, depuis nos cousins les grands singes à l’exceptionnelle variété d’espèces mammifères, jusqu’aux plus petites formes de vie du fin fond des océans, premières traces du vivant sur Terre.
L’aile de l’évolution, parenthèse pendant ce premier parcours, qui conserve notamment l’impressionnant squelette fossile du mammouth de Choulans, permet de mieux appréhender la théorie de l’évolution des espèces de Darwin.
Ensuite, c’est un voyage qui nous entraîne aux confins de l’univers qui nous attend, depuis notre galaxie jusqu’au Big Bang, dans une scénographie qui fascine petits et grands.

Au cœur du vivant
Après la question de nos origines, l’espace suivant, intitulé “Espèces, la maille du vivant” se demande “qui sommes-nous ?”, interrogeant notre place dans la grande chaîne du vivant et les liens complexes qui nous unissent aux autres espèces. Momies de chats de l’Égypte antique, totémisme australien, animisme inuit, opposition entre nature et culture en Occident… l’évocation des représentations symboliques chez l’homme et sa place particulière au sein du monde vivant entrent en résonance avec la question de son impact sur la nature et la biodiversité, au cœur des préoccupations écologiques actuelles.


Une mosaïque de sociétés
La partie suivante, “Société, le théâtre des hommes”, met en lumière la complexité des sociétés humaines, leur organisation, les échanges entre les groupes, et leur formidable pouvoir créatif. On est fasciné par l’incroyable diversité des sociétés et civilisations, et la beauté des collections d’outils, instruments, armurerie, objets d’art modelés, taillés, ciselés, décorés jusqu’au goût du détail… Depuis les temps reculés jusqu’à la modernité, on comprend l’importance des échanges entre les groupes – qu’ils soit culturels, monétaires, techniques, scientifiques… – et leurs rôles essentiels dans le progrès. L’homme, depuis toujours, est un être d’innovation, il créé.
Au-delà du vivant
Il n’est pas de société qui ne se soit pas posé la question de la mort, de la vie après la mort, du rapport au défunt. Ainsi, dans ce quatrième et dernier espace, “Éternités : visions de l’au-delà”, la visite se poursuit par un dernier voyage qui met en perspective ce questionnement universel : après la vie, que devenons-nous ? Où allons-nous ? Les exemples de rites funéraires issus de cultures amérindiennes et africaines, et la fascinante collection d’égyptologie, point d’orgue final de ce parcours, interrogent le passage du monde des vivants à celui des morts et éclaire notre besoin viscéral de spiritualité.
Le vivant naît, vit, et meurt, puis renaît, dans un cycle infini : la visite du musée se termine sur un ultime questionnement, “que léguons-nous ?”, nous rappelant l’incroyable fragilité du vivant et l’absolu nécessité de le préserver.



À découvrir lors de nos escapades « Lyon et la fête des Lumières » et « Lyon à la Saint-Sylvestre »
Par Marie Lagrave
Publié originellement dans le Plus #164 (Automne 2021)
Suite à l’invention, en 1872, du premier parc national au monde – Yellowstone –, de nombreux pays vont emboîter le pas aux États-Unis et fonder leurs propres parcs nationaux. En France, s’il faut attendre 1963 pour que soit institué le premier – celui de la Vanoise –, c’est l’aboutissement d’une longue série de réflexions et de projets, dont certains ébauchés avant même la création de Yellowstone. S’écartant du modèle américain, 11 parcs nationaux “à la française” verront le jour, non sans mal. Souhaités par une certaine élite, ils auront beaucoup de difficultés à se faire accepter de la population locale, malgré un objectif de valorisation du territoire et de développement durable.
À lire également : À l’origine des parcs nationaux : les États-Unis
Les peintres de Barbizon et la forêt de Fontainebleau

En France, pendant longtemps, la nature sauvage ne sera pas du tout valorisée, au contraire : il faut la domestiquer, la contrôler, la rendre utile et agréable. Mais ce regard commence quelque peu à peu à changer quand, à partir des années 1820, plusieurs peintres s’installent dans le village de Barbizon, à la lisière de la forêt de Fontainebleau. La peinture en extérieur commence tout juste à se développer, et les paysages naturels deviennent un sujet en vogue. Fontainebleau, de par sa proximité avec Paris, est le terrain de jeu parfait pour ces jeunes avant-gardistes.
À découvrir lors de la journée culturelle : Barbizon et Fontainebleau
Théodore Rousseau – chef de file du mouvement – et ses compagnons se battent alors contre les coupes rases afin de pouvoir continuer à peindre les arbres qu’ils affectionnent. Ils obtiennent en 1853 que 624 ha soient préservés de l’exploitation en tant que “série artistique” : c’est le premier « site naturel protégé » de France. Et si l’appellation a depuis disparu (ainsi que la protection qu’elle offrait), elle a sans doute influencé la conception du parc national de Yellowstone – elle aussi initiée par des peintres –, puis l’institution d’autres espaces protégés en France.
Les associations touristiques et l’éphémère parc de la Bérarde
L’avènement du parc national de Yellowstone connaît rapidement un retentissement mondial. C’est un immense succès, qui fait de la nature un espace de loisirs et un patrimoine à préserver. Nombreux sont alors ceux qui souhaitent voir l’invention américaine dupliquée en France.

Deux associations seront particulièrement influentes : le Club Alpin Français (association de sports de montagne) et le Touring Club de France (association à but touristique, au départ à bicyclette, puis qui s’est élargie à d’autres activités). En 1913 est créé, à leur initiative, l’Association des parcs nationaux de France et des colonies. La même année est inauguré, dans les Alpes, le parc de la Bérarde, qui obtiendra officieusement le statut de parc national, avant de péricliter peu à peu faute de moyens (la Première Guerre mondiale éclate l’année suivante) et face à l’opposition de la population locale, qui refuse les contraintes liées au parc. Il renaîtra néanmoins bien plus tard – en 1973 – sous le nom de parc national des Écrins.
Les premiers parcs nationaux français… dans nos colonies
La première tentative de création d’un parc national sur le sol français s’étant soldé par un échec, c’est vers les colonies que se tournent les associations. Avec leur aide et le soutien de l’administration des Eaux et Forêts, 10 parcs nationaux seront créés en Algérie entre 1923 et 1930, afin de “protéger les beautés naturelles et les curiosités scientifiques de la colonie, et de favoriser le tourisme”. Ces terres sont donc soustraites à la chasse, aux pâturages, à l’exploitation forestière… et de nombreux aménagements touristiques y sont installés. Par la suite, plusieurs parcs et réserves seront créés sur un modèle similaire dans de nombreuses colonies françaises.
De multiples conflits autour des parcs nationaux
Ensuite, plusieurs visions des parcs nationaux cohabitent et s’affrontent. Pour certains, un parc doit permettre un équilibre entre la préservation de la nature et les activités rurales traditionnelles (agriculture, pâturages, chasse…). Pour d’autres, un parc national est avant tout une marque, un attrait touristique, qui va supporter le développement des communes alentour, dans un contexte marqué par la pauvreté et l’exode rural. D’autres, enfin, estiment qu’un parc doit être un refuge inaliénable pour la vie sauvage, où l’homme serait exclu.
Mais en France métropolitaine, les projets stagnent et les échecs se multiplient. La création de parcs nationaux se heurte à plusieurs difficultés. D’abord, toutes les terres sont habitées, cultivées, ou utilisées d’une manière ou d’une autre. Instaurer un parc dans un lieu revient donc à spolier les habitants de cet espace, en restreignant les activités qui peuvent s’y déployer. Ce qui soulève, localement, une vive opposition.
La loi de 1960 et les premiers parcs nationaux de France
Face à ces conflits, il faudra attendre 1960 pour qu’une véritable loi soit proposée afin d’initier la création de parcs nationaux. La solution qui va être proposée est d’aménager, à l’intérieur de chaque parc, des secteurs distincts avec des statuts différents. La zone principale, le cœur de parc, sera ouverte au public mais encadrée par des mesures strictes ; des réserves intégrales pourront y être instaurées, où la seule présence humaine autorisée sera celle des scientifiques et chercheurs ; puis, une zone périphérique permettra de développer un dynamisme touristique et de maintenir l’activité agricole.
L’objectif est de donner aux territoires classés parcs nationaux une forte visibilité au niveau national et international, d’y mener une politique de protection du patrimoine naturel et culturel afin de pouvoir le transmettre aux générations futures et d’y intégrer des programmes pédagogiques.

Sept parcs nationaux seront inaugurés sur ce modèle entre 1963 et 1989 : quatre en haute-montagne (la Vanoise, les Pyrénées, les Écrins et le Mercantour), un en moyenne-montagne (les Cévennes), un dans un archipel (Port-Cros, au large du Lavandou) et un en outre-mer (la Guadeloupe).
La réforme de 2006 et la seconde vague de création de parcs
En 2006, une loi va venir réformer les parcs nationaux, dans l’objectif d’ouvrir le dialogue avec les collectivités territoriales, souvent opposées aux projets de parcs dans leur proximité.
La principale nouveauté est l’introduction d’une charte, que les communes aux alentours pourront accepter ou non, afin de former une “aire d’adhésion” au parc national. Construite en concertation avec les différents acteurs du territoire, cette charte permet d’impliquer davantage les populations locales et de créer une continuité écologique.
Suite à cette réforme, quatre nouveaux parcs nationaux seront créés : en Guyane (2007), à La Réunion (2007), dans les calanques de Marseille (2012) et, récemment, dans les forêts de Champagne et Bourgogne (2019).

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Les parcs nationaux de France avec Arts & Vie
Le parc national des Écrins
Glaciers, lacs d’altitude et hauts sommets enneigés, torrents, vallées verdoyantes et pâturages fleuris : voici les promesses du parc national des Écrins. Entre Isère et Hautes-Alpes, sept vallées à l’identité marquée sont protégées par le parc, qui a notamment permis la réintroduction du bouquetin des Alpes.
À découvrir lors d’un séjour dans la résidence Arts et Vie de Serre-Chevalier
Le parc national des Calanques
Le fabuleux massif des Calanques, avec ses falaises abruptes et ses criques sublimes, est protégé par l’appellation parc national depuis 2012. Le parc, qui comprend les calanques, mais aussi les archipels du Frioul et de Riou, l’île Verte et le cap Canaille, ainsi qu’une aire maritime, permet de protéger cet écosystème particulièrement riche et fragile, notamment face à la pression urbaine liée à sa proximité avec Marseille.
À découvrir avec l’escapade en France : Marseille et les calanques de Cassis
Le parc national de la Guadeloupe
Le parc national de la Guadeloupe s’étend sur la quasi-totalité de Basse-Terre ainsi que sur une belle partie de Grande-Terre. Il a vocation à protéger son massif montagneux et sa forêt tropicale qui abritent une biodiversité très riche, dont une faune et une flore endémiques. Les fonds marins font également l’objet d’une étroite surveillance afin de préserver l’écosystème fragile des récifs coralliens.
À découvrir avec le circuit aux Antilles : Découvertes antillaises
Le parc national de La Réunion

Représentant presque la moitié de la superficie de l’île, le parc national de La Réunion est situé en son centre. C’est là que s’y concentrent ses richesses naturelles : les cirques de Mafate, de Salazie et de Cilaos ainsi que le Piton de la Fournaise. C’est également une réserve importante de la biodiversité : de par son caractère insulaire, La Réunion abrite de nombreuses espèces endémiques, végétales comme animales.
À découvrir dans le circuit à La Réunion : Balades à La Réunion
Pour en savoir plus :
Une série de 4 épisodes sur l’histoire du parc de la Vanoise, sur France Culture

Rosa Bonheur, l’exposition hommage

Article partenaire avec l’Objet d’Art
Par Constance Arhanchiague
Artiste acclamée de son vivant et internationalement reconnue, Rosa Bonheur tomba dans l’oubli après sa mort en 1899. À l’occasion du bicentenaire de sa naissance, le musée d’Orsay remet à l’honneur la plus grande peintre animalière du XIXe siècle, en présentant au public ses nombreux chefs-d’œuvre. Une exposition événement que l’on attendait depuis longtemps ! En 200 œuvres, parmi lesquelles des tableaux encore jamais montrés en France et des prêts de collectionneurs, le parcours donne à voir au public un large aperçu de la production de Rosa Bonheur, et éclaire le travail d’élaboration d’une œuvre originale.
Une artiste qui renouvela le genre de la peinture animalière
Observant et chérissant les animaux depuis sa plus tendre enfance, Rosa Bonheur disait qu’elle avait « pour les étables un goût plus irrésistible que jamais courtisan pour les antichambres royales et impériales ». À l’encontre de la tradition du grand portrait princier et des sujets historiques et mythologiques alors en vogue, Rosa Bonheur imposa ses peintures animalières et relégua l’humain au second plan, dans une approche novatrice.
Selon Sandra Buratti-Hasan, il est probable qu’elle ait choisi la peinture animalière en étant consciente qu’il y avait là un créneau à prendre. Aurait-elle pu se faire une telle place dans le genre de la peinture d’histoire compte-tenu de la concurrence ? Cette perspicacité n’est pas la moindre marque de son intelligence. Ses sujets champêtres et animaliers offraient alors à sa clientèle bourgeoise une peinture bien plus accessible intellectuellement que la peinture d’histoire, et très séduisante en raison de son enracinement dans des terroirs profonds, opposés à la société urbaine et industrialisée.
Si les sujets animaliers existaient déjà, Rosa Bonheur s’y consacra exclusivement, ce qui n’était pas le cas de ses prédécesseurs, et se tailla ainsi une place privilégiée dans un genre tardivement reconnu.

Le choix du réalisme pour « capturer l’âme »
Deux camps s’opposaient alors dans la représentation de l’animale : d’un côté les romantiques qui livraient des portraits sensibles voire psychologiques, et de l’autre les réalistes qui privilégiaient une représentation descriptive, visant à saisir l’animal de manière neutre selon des codes qui prévalaient dans les pastorales et les scènes de labourage. Loin d’un romantisme lyrique et à bonne distance de la dureté d’un Courbet, Rosa Bonheur développa une œuvre d’un réalisme mesuré, compatible avec ce que fut le goût de la peinture non seulement des institutions artistiques du Second Empire et de la IIIe République, mais aussi de sa riche clientèle européenne et américaine.
Durant toute sa carrière, elle s’est intéressée à l’animal dans son environnement, à rebours du pittoresque ou de l’anecdote, pour entreprendre de traduire le « sentiment vrai de la nature ». Son attention extrême portée au mouvement et aux expressions des bêtes fit dire à Théophile Gautier, s’extasiant devant ses taureaux du Cantal : « quelle vérité et quelle observation parfaite ! ».

Sa volonté de peindre fidèlement les caractères physiques et les attitudes des animaux sans trahir les espèces se nourrit d’apprentissage et de travail. L’exposition en rend bien compte, en associant aux toiles grand format des études préparatoires. Rosa Bonheur multiplia les croquis, études, et ébauches. Elle utilisa même la photographie qu’elle pratiqua un peu elle-même, pour se documenter davantage sur la vie animale.
Considérant que les animaux avaient une âme qui légitimait l’attention qu’on devait leur prêter, Rosa Bonheur individualisa ses sujets dans des œuvres qui s’apparentaient à des portraits, les représentant en gros plan, frontalement ou de profil, comme cette saisissante tête de lion au regard perçant. Elle observait tout particulièrement le regard des bêtes, considérant que « c’est là que se peignent les volontés, les sensations, les êtres auxquels la nature n’a pas donné d’autres moyens d’exprimer leurs pensées ». Elle disait elle-même qu’elle voulait devenir la « Vigée Lebrun des animaux », en référence à la grande portraitiste de Marie-Antoinette, montrant par là son ambition d’imposer ses peintures animalières avec la force du portrait et de dévoiler toute la puissance de l’âme animale.

Féministe avant l’heure
Femme de combats, Rosa Bonheur était une véritable légende en son temps. Avant toute chose elle s’est battue pour pouvoir devenir artiste et vivre de sa peinture dans un contexte où les institutions artistiques étaient dominées par les hommes.
Bataillant pour légitimer ce statut de femme peintre et s’affirmer comme l’égale de ses confrères hommes, elle transgressa les codes de son époque pour vivre farouchement libre dans un siècle encore très corseté, devenant ainsi une figure de l’émancipation des femmes. Elle refusa notamment de se marier et partagea sa vie affective pendant plus de cinquante ans avec son amie d’enfance Nathalie Micas, troqua la robe pour le pantalon, porta les cheveux courts et fuma le cigare…
La ménagerie du château de By
Autre aspect qui contribua à sa légende, elle vécut pendant plus de quarante ans au milieu d’une ménagerie, composée d’animaux domestiques, sauvages et agricoles. En 1860, elle s’installa dans une vaste demeure en lisière de la forêt de Fontainebleau, le château de By, où elle logea une véritable arche de Noé : chiens, moutons, bœufs, chevaux, sangliers, cerfs, et même une gazelle et un couple de lion. Brouillant complètement la frontière entre animaux sauvages et domestiques, elle nomma sa jument « Panthère » et son cerf « Jacques ».

Par l’ampleur de sa ménagerie, elle s’est libérée des contraintes qui pesaient auparavant sur les artistes animaliers. Alors que ses prédécesseurs travaillaient d’après des animaux morts ou en captivité, au Jardin des plantes par exemple, n’instaurant aucun dialogue avec leurs sujets dont la réactivité et le regard étaient éteints, Rosa Bonheur put à l’inverse continuellement les observer et en saisir des attitudes singulières. Elle habitua même les animaux à sa présence, en lisant longuement le journal dans le parc aux cerfs ou nourrissant elle-même ses lions qu’elle avait domestiqués et qui vivaient en dehors de leur cage.
Des commandes de l’État français à la renommée internationale
Après des envois remarqués au Salon qui lui valurent une très bonne réception critique, Rosa Bonheur reçut plusieurs commandes officielles de l’État.

La première, le Labourage nivernais, deviendra l’un de ses chefs-d’œuvre. Dans cette toile monumentale, le lien avec le message républicain qui valorise le travail agricole et la richesse de la terre nourricière est évident. Alors que les bouviers et le laboureur sont dissimulés au second plan, les bœufs, massifs et puissants, apparaissent comme les héros de ce tableau qui glorifie le règne animal. Plus que l’homme, c’est l’animal qui travaille et qui souffre, épuisé par le joug et l’ascension de la colline.
Pour sa deuxième commande officielle, Rosa Bonheur voulut proposer Le Marché aux chevaux, que l’État refusa lui préférant un nouveau sujet rural, mais qu’elle présenta au Salon de 1853. Cette toile suscita un très grand enthousiasme auprès de la critique qui exempta définitivement Rosa Bonheur de soumission de ses envois.

of Art, New York
Après avoir remis à l’État La Fenaison en Auvergne dont elle n’était pas satisfaite, Rosa Bonheur choisit de quitter le Salon pour se tourner exclusivement vers le marché de l’art, ce qui lui permit de très bien vivre mais la fit peu à peu sombrer dans l’oubli en France.
Un triomphe à l’étranger
Elle s’associa aux marchands et collectionneurs les plus éminents pour dominer le marché de l’art et conquérir son indépendance financière et morale. Ernest Gambart devint avec les Tedesco l’un des principaux promoteurs de sa peinture à l’étranger. Depuis Londres où il s’était établi, et d’où il valorisait son œuvre animalière, il entreprit de la rendre célèbre outre-Atlantique. Rosa Bonheur connut alors un succès international et compta parmi les artistes les plus convoités et les plus chers de son époque.
Ultime consécration, elle fut décorée par l’impératrice Eugénie elle-même de la légion d’honneur, avec laquelle elle choisit de poser pour la postérité, devenant ainsi la première femme artiste à recevoir une telle distinction. Toute sa vie Rosa Bonheur fut sensible aux honneurs qu’elle reçut au cours de sa carrière et qui furent nombreux. Elle voulait être la meilleure dans son domaine, pour être digne et fière de son statut de femme peintre, destin qu’elle accomplit parfaitement.

Pour aller plus loin :

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Le Dossier de l’Art n°299 sur Rosa Bonheur, écrit par l’historien de l’art Bernard Tillier, professeur à l’université Paris I Panthéon.
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Nouveauté ! Pour plus d’articles, retrouvez également l’Objet d’Art sur le site : actu-culture.com
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JEU CONCOURS
Quelle personnalité américaine, figure mythique de la conquête de l’Ouest, devint l’ami de Rosa Bonheur et lui inspira plusieurs toiles ?
Merci d’adresser votre réponse à : abonnement@faton.fr, en indiquant votre nom et adresse, et en précisant dans l’objet « Concours Arts & Vie – Rosa Bonheur », avant le 1er décembre 2022.
Les cinq premières bonnes réponses gagneront le catalogue raisonné du fonds de Rosa Bonheur conservé au château de Fontainebleau (à commander sur www.faton.fr).

« Frida Kahlo, au-delà des apparences »
Par Marie Lagrave

Depuis le 15 septembre, une foule plus dense qu’à l’accoutumée se presse aux abords du Palais Galliera, le musée de la Mode de la ville de Paris, situé dans le XVIe arrondissement. Il faut dire que le musée présente en ce moment – et jusqu’au 5 mars – une exposition dédiée à l’immense peintre mexicaine Frida Kahlo. Musée de la mode oblige, il n’est ici pas tellement question de ses tableaux, restés pour la plupart au Mexique ou aux États-Unis, mais bien davantage de la façon dont l’artiste a, toute sa vie durant, façonné son identité et son image, notamment au travers des robes traditionnelles mexicaines qu’elle aimait porter. Une exposition très attendue et fortement plébiscitée qui permet d’approcher l’intimité de Frida Kahlo, aujourd’hui devenue une icône internationale.
Conçue en étroite collaboration avec le Museo Frida Kahlo au Mexique, l’exposition dévoile plus de 200 objets provenant de la fameuse Casa Azul qui vit naître et mourir la célèbre peintre. Au fil des salles, on découvre des photographies la représentant, sa correspondance, les ex-votos qu’elle collectionnait, et bien sûr ses vêtements, bijoux et cosmétiques, ainsi que ses corsets et prothèses médicaux, transformés en véritables supports d’expression artistique. Quelques croquis et tableaux de l’artiste ponctuent le parcours, mais ils restent rares : ce n’est pas là le sujet de l’exposition. De même, si le nom de Diego Rivera, son mari, est bien sûr évoqué, on ne s’y attarde pas, et Frida Kahlo reste la star incontestée. L’exposition débute par un parcours biographique pour nous faire ensuite découvrir comment Frida Kahlo a composé son identité au travers de son handicap, de ses tenues et de ses portraits photographiques.
Une galerie courbe pour un parcours biographique

« Je suis née ici »
Arrivée au Palais Galliera, je m’arrête un instant pour apprécier son étonnante architecture qui oscille entre une géométrie rigoureuse côté jardin et sa façade sur rue en demi-cercle. Après un peu d’attente, j’accède à l’exposition : un court film de Frida Kahlo sert d’introduction, puis le parcours débute dans une longue galerie en courbe, un long couloir arrondi.
« Je suis née ici » : c’est quasiment par ces mots que le parcours de l’exposition commence, soulignant l’attachement de Frida Kahlo à ses racines et au Mexique. Les photos de famille se succèdent, dévoilant ses origines métissées, et montrant Frida enfant, prenant déjà la pose pour son père, photographe de métier. Mais l’enfance de Frida Kahlo, c’est aussi la poliomyélite, maladie qui atrophie sa jambe droite et dont elle gardera des séquelles toute sa vie ; puis son terrible accident de bus alors qu’elle n’a que 15 ans, et qui fera basculer toute son existence. Cet accident apparait d’ailleurs dans l’exposition par un dessin saisissant de Frida Kahlo, presque un croquis, où plusieurs scènes se superposent.
« Je suis née ici » représente également la Casa Azul, où Frida Kahlo naquit et vécut toute sa vie, si l’on excepte ses voyages. Après son mariage, elle y vit avec Diego Riviera, et si la maison accueille les amours et les discordes du couple, elle n’en reste pas un moins un refuge pour Frida Kahlo qui la décore avec soin. Parmi les objets présentés, la collection d’ex-votos notamment, attire mon attention. Source d’inspiration pour l’artiste, ils témoignent de sa passion pour l’art populaire, les thèmes religieux et les traditions mexicaines.
Voyages et correspondance
Le parcours continue, toujours dans cette étonnante galerie courbe, et m’entraine dans deux des voyages de Frida Kahlo. Frida suit tout d’abord Diego aux États-Unis, où ils séjourneront 2 ans, d’abord à New York puis à Détroit. Bien que fascinée par sa modernité, Frida apprécie peu le pays qu’elle surnomme « Gringolandia ». À Détroit, en outre, elle subit une fausse couche traumatisante. Elle peint cependant lors de son séjour plusieurs de ses chefs-d’œuvre.
Quelques années plus tard, Frida Kahlo est invitée à Paris par André Breton qui prépare une exposition en son honneur. Cependant, ses tableaux ne seront finalement exposés qu’au milieu d’autres œuvres mexicaines. C’est une grande déception pour l’artiste, qui dans sa correspondance, s’en prend vivement à Breton et aux surréalistes.
Ces deux voyages permettent néanmoins à Frida Kahlo de faire de nombreuses rencontres, et de lier des amitiés qu’elle entretient par une abondante correspondance. Les lettres échangées avec ses relations viennent clore ce parcours biographique.
De grandes salles pour comprendre la construction de son image
Infirmité et créativité

Après ce long parcours dans cette étroite galerie, j’apprécie les volumes de la salle qui s’ouvre ensuite, sans doute la plus poignante de l’exposition. Ici sont exposés, en ligne, différents corsets portés par Frida Kahlo. Soutiens de son corps brisé, réceptacles de sa douleur, ils témoignent de sa santé de plus en plus fragile. Portés tout au long de sa vie, ils font partie intégrante de sa personne : loin de chercher à les dissimuler, elle les a représentés et mis en scène dans nombre de ses tableaux, comme des allégories de ses souffrances. Certains sont également devenus des supports artistiques. Elle a peint sur l’un la faucille et le marteau, symboles de son attachement au Parti Communiste ; ici, le fœtus de l’enfant qu’elle n’a jamais pu avoir ; sur un autre, une colonne brisée, reflet de sa propre colonne vertébrale…

D’autres dispositifs médicaux sont également exposés, et notamment une prothèse orthopédique, utilisée après l’amputation de sa jambe droite. Admirablement conçue, elle figure une véritable jambe, ornée d’une magnifique botte rouge sur laquelle trône un dragon asiatique. Malgré son handicap, Frida Kahlo n’a en effet jamais cessé d’apporter un soin extrême à ses tenues. Elle les portait comme un véritable étendard de sa personnalité hors du commun, de sa mexicanité et de sa féminité.
Tenues et portraits photographiques

La salle suivante, justement, permet d’admirer quelques-unes des plus belles parures de l’artiste. Bijoux et cosmétiques s’exposent de part et d’autre tandis que de superbes robes trônent au centre de la pièce. La plupart sont des jupes et tuniques traditionnelles mexicaines, brodée de couleurs vives, emblématiques de la région de Tehantepec. L’amplitude des jupes permettaient à Frida de dissimuler ses jambes, tandis que les motifs chatoyants des tuniques mettaient en valeur son buste et la faisait paraitre plus grande. Ces tenues sont devenues un marqueur essentiel de l’identité de l’artiste, qui les portait jusqu’à son chevalet, ce dont témoignent photos et taches de peinture.
Habituée à poser pour son père dès le plus jeune âge, Frida Kahlo conserve ensuite le désir de se faire prendre en photo et de composer son image. Les portraits d’elle sont nombreux et extrêmement variés, pris par différents photographes. Dans cette salle habitée par ses robes, tout un pan de mur est consacré à ces photos. On y voit Frida parée de ses plus beaux atours, dont certains sont visibles dans la pièce. Ces portraits ont fait le tour du monde, et son image si reconnaissable a contribué à faire d’elle une véritable icône, internationalement reconnue.

À l’étage : des créations de haute couture inspirées par Frida Kahlo
Jusqu’au 31 décembre 2022, une exposition-capsule située à l’étage, permet de compléter le parcours. Dans cette dernière salle, sont exposées des créations de haute couture inspirées par l’artiste mexicaine. De nombreux créateurs de mode ont en effet voulu rendre hommage à son style unique, que ce soit au travers de robes d’inspiration tehuana, de motifs mexicains chatoyants ou par l’utilisation de corsets orthopédiques. Ce dernier espace permet de mesurer l’influence de l’artiste sur la mode contemporaine et d’apprécier la variété des interprétations de son style.
À découvrir lors de la journée culturelle : Le Mexique à Paris

Article partenaire avec les Dossiers d’Archéologie
Par Constance Arhanchiague

Vers 720 av. J.-C., Piânkhy, roi de Kouch en Nubie, part à la conquête de l’Égypte. Il fonde la XXVe dynastie, dite kouchite, et crée le royaume des Deux Terres en unifiant l’Égypte et la Nubie. L’exposition événement « Pharaon des Deux Terres. L’épopée africaine des rois de Napata » raconte l’épopée de ces nouveaux rois venus du sud et révèle au grand public des objets spectaculaires, typiques du style artistique très original de cette période. Elle est le fruit de recherches historiques du côté égyptien et de résultats de fouilles récentes au Soudan qui ont permis de rendre accessible cette période à un large public. Au VIIe siècle av. J.-C., une invasion assyrienne met fin à la domination des rois kouchites en Égypte, qui se replient alors au Soudan.
L’épopée des rois de Napata

L’histoire de la XXVe dynastie est avant tout celle de la renaissance d’un royaume, celui de Kouch, apparu au Soudan vers la fin du IIIe millénaire av. J.-C. Cet État qui a longtemps constitué une menace pour l’État pharaonique, a pris fin au moment de la colonisation égyptienne (vers 1500 av. J.-C.). La culture nubienne ne disparaît pas pour autant et on la distingue encore çà et là, dans les modes d’inhumation, la céramique ou les mentions d’enfants de chefs envoyés auprès du pharaon.
Lorsque l’État égyptien s’effondre à son tour au tournant du XIe siècle av. J.-C., la Nubie retrouve son indépendance. Au VIIIe siècle av. J.-C., Piânky, véritable fondateur de la puissance kouchite, lance une grande campagne militaire qui prend vite l’allure d’une marche victorieuse jusqu’à Memphis, les cités rencontrées se rendant au fur à mesure. Il laisse pourtant en place les roitelets locaux et s’en retourne à Napata.
La XXVe dynastie, qui désigne les rois kouchites reconnus durablement à Memphis, ne débute réellement qu’avec Chabataka en -713. Chabataka (713-705 av. J.-C.) conquiert l’Égypte, éliminant au passage un roi thébain, Iny, et surtout le roi de Saïs, Bocchoris, qui contrôlait tout le nord du pays. On a souvent cru pouvoir déceler une tendance impérialiste dans son règne, mais les rapports diplomatiques avec les Assyriens semblent avoir été plutôt bons.
Le règne de Chabaka (705-690 av. J.-C.), probablement un fils de Chabataka, est bien mieux documenté. Ce dernier lança un programme de constructions remarquables à Thèbes et Memphis, mais fut peu présent en Nubie.
Taharqa (690-664 av. J.-C.), le pharaon le plus emblématique de la dynastie, aurait semble-t-il usurpé le trône de Chabaka. Il mena une politique de travaux monumentale à Napata, Kawa, Thèbes et Memphis. Alors que son autorité est contestée dans le Delta par des dynasties rivales de Saïs et Tanis, il développe un intérêt pour le Levant et suscite des révoltes contre la domination assyrienne en Phénicie. Ceci explique que la fin de son règne soit marquée par plusieurs invasions des Assyriens.
C’est une nouvelle invasion, à Memphis et surtout Thèbes, qui mettra fin à la puissance kouchite en Égypte en -655, sous le règne de Tanouétamani (664-655 av. J.-C.). La XXVe dynastie perdure cependant en Nubie, autour de sa capitale Napata, et reste très influencée par la culture égyptienne.

La renaissance kouchite
Durant la XXVe dynastie, la région thébaine fut au cœur de l’attention des nouveaux pharaons originaires de Napata qui, pendant un demi-siècle, y rénovèrent et édifièrent de nombreux monuments.
Les temples de Karnak
Karnak, principal sanctuaire du dieu dynastique Amon-Rê, connut en particulier de nombreuses transformations sous le règne des rois kouchites.
Comme l’ont révélé les fouilles de Kerma, le dieu égyptien Amon était déjà révéré au Soudan à l’époque de la colonisation égyptienne, jouant possiblement le rôle de passerelle entre les deux cultures pour justifier la mainmise égyptienne sur le territoire nubien. Durant la période napatéenne, les rites qui étaient apparus autour de cette divinité à tête de bélier sont repris et développés, jusqu’à faire d’Amon une figure tutélaire au centre des cultes rendus dans Karnak et dans la capitale religieuse Thèbes.
À Karnak, Chabataka planifia l’agrandissement de la chapelle d’Osiris Heqa Djet, et son successeur Chabaka fit ajouter deux nouvelles portes à l’avant du temple de Ptah ainsi qu’un grand magasin de stockage à l’est de celui-ci.
Si Chabaka marqua durablement de son empreinte la région, le souvenir de son successeur, Taharqa, est aujourd’hui plus encore associé à cette renaissance. À son avènement, le pouvoir napatéen était à son apogée. Taharqa multiplia alors les projets monumentaux au cours de la première décennie de son règne, tout en achevant ceux de Chabaka, comme à Médinet Habou.

Sur la rive nord du lac sacré de Karnak, il fit notamment construire un sanctuaire original dédié à l’aspect solaire d’Amon, Rê-Horakhty, où était célébrée la renaissance quotidienne du soleil, en lien avec les mythes osiriens et ceux se déroulant à Médinet Habou. Ce monument, par l’originalité de son architecture et la richesse de sa décoration, témoigne de l’intense activité intellectuelle de l’époque.
Thèbes, nécropole de l’élite kouchite
Avec l’arrivée des Kouchites au pouvoir, la ville connut une nouvelle phase de splendeur, dont les premières manifestations remontent aux règnes de Chabataka et Chabaka pour connaître son apogée sous Taharqa. Elle fut enrichie de plusieurs monuments culturels et funéraires, sur les deux rives du Nil et occupa de nouveau la place de capitale religieuse qui était la sienne sous le Nouvel Empire.

La nécropole de l’Assassif devint notamment un vaste chantier de construction à l’époque napatéenne pour accueillir les tombes de la nouvelle élite kouchite, véritables palais funéraires uniques dans l’architecture égyptienne.
Découvrir tous les circuits Arts et Vie en Égypte
Le Djebel Barkal, la « montagne sacrée »

Cette montagne sacrée, énorme massif de grès qui se détache du désert environnant, cristallisa pendant des siècles, et plus particulièrement sous la XXVe dynastie, l’attention des souverains qui y édifièrent à ses pieds temples et palais.
Ce sont les Égyptiens qui pendant la période de colonisation investirent cette masse rocheuse en y reconnaissant la demeure du dieu Amon. Pendant la période napatéenne, les rois kouchites, qui vouaient un véritable culte à cette divinité, multiplièrent le nombre de sanctuaires qui lui étaient consacrés. Certains rois choisirent d’élargir les temples de leurs prédécesseurs, d’autres d’en fonder de nouveaux.

Au sein de cet ensemble architectural colossal se trouve le grand temple d’Amon, inauguré durant le règne de Thoutmosis III, puis agrandi jusqu’à l’époque napatéenne où il deviendra et demeurera le plus grand temple jamais construit au Soudan.
Les chefs-d’œuvre absolus de l’exposition « Pharaon des Deux Terres »
La XXVe dynastie a promu un courant antiquisant très original, qui avait commencé un peu auparavant à la période libyenne et qui va perdurer avec la XXVIe dynastie saïte. Cette mode, qui s’observe dans les thèmes choisis et les productions artistiques, marque la volonté des nouveaux représentants du pouvoir de s’inscrire dans une continuité historique.
Le sphinx de Chépénoupet II

Chépénoupet II, fille de Piânkhy et sœur de Taharqa, occupa la haute fonction de divine adoratrice d’Amon à Karnak pendant plusieurs décennies. De ce fait, elle reçut des prérogatives royales, comme celle d’être représentée en sphinx.
Les rois kouchites de la cachette de Doukki Gel

L’un des temps forts de l’exposition est la présentation de la reconstitution des sept statues monumentales de Doukki Gel, découvertes par l’équipe de Matthieu Honegger et Charles Bonnet en 2003. Ces statues qui représentaient les pharaons Taharqa, Tanouétamani et trois de leurs successeurs, avaient été brisées et remisées dans une fosse. C’est une découverte sensationnelle pour le grand public et plutôt récente à l’échelle des découvertes archéologiques.
Les versions originales sont aujourd’hui conservées au musée Kerma au Soudan. Les commissaires de l’exposition « Pharaon des Deux Terres » ont pris le parti de faire des reproductions sous forme de moulage de ces statues en granit avec des fils dorés.
La statue Horus Posno

Ce bronze de haute taille montre le très grand savoir-faire acquis par les artisans bronziers de cette période. Il appartenait à une composition plus vaste. Horus tend les bras pour verser de l’eau purificatrice d’un vase aujourd’hui disparu. Thot lui faisait face et accomplissait avec lui le rituel de purification pour le roi.
Pour aller plus loin :

Le hors-série Dossiers d’Archéologie sur l’exposition « Pharaon des Deux Terres. L’épopée africaine des rois de Napata » au musée du Louvre, conçu avec Vincent Rondot, directeur du département des Antiquités égyptiennes au musée du Louvre, et les contributions des meilleurs spécialistes de la XXVe dynastie et du royaume de Napata en Nubie.
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« Le décor impressionniste. Aux sources des Nymphéas »

Article partenaire avec L’Objet d’Art
Par Jeanne Faton
Installés depuis 1927 à l’Orangerie, les Nymphéas de Monet témoignent avec force de la dimension éminemment décorative de l’art impressionniste. Le lien singulier que les pionniers de l’art moderne nouèrent avec le décor mural n’avait pourtant jamais été exploré avant l’exposition du musée de l’Orangerie. Elle invite, à plusieurs égards, à porter un regard nouveau sur l’art impressionniste. Caillebotte, Monet, Renoir, Pissarro et bien d’autres, avec des toiles rarement ou jamais présentées en France, sont au rendez-vous.

Détail. Huile sur toile, 174 x 172,5 cm © Musée d’Orsay, dist. RMN – P. Schmidt
À lire également : notre visite des Bassins de Lumières de Bordeaux lors de l’exposition « Monet, Renoir… Chagall, Voyages en Méditerranée »
Les commandes des premiers mécènes
Au XIXe siècle, nombreux sont les peintres à avoir commencé leur carrière par des menus travaux de décoration. Qu’ils aient peint les murs de leurs auberges par amusement de rapins, pour « payer » l’aubergiste en nature, ou qu’ils aient décoré restaurants et cafés pour gagner quelques sous, les exemples sont légion.
Tout au long des années 1870, les impressionnistes sondent notamment l’existence d’un marché pour la décoration murale : dessus de porte, panneaux en pendants, triptyque, compositions peintes à même le lambris… S’ils se sont vus confier peu de décoration publique, n’ayant pas cherché à se mettre dans les rangs de la décoration officielle, ils ont en revanche réalisé beaucoup de commandes privées pour des mécènes. Ces réalisations peintes pour des murs précis à la demande de commanditaires divers les inscrivent, l’espace d’une décennie, dans une configuration inédite, très éloignée de l’indépendance qu’ils avaient pour habitude de prôner, en peignant des tableaux de chevalet, vendus par l’intermédiaire de marchands.
Premiers commanditaires
Grâce au soutien de l’éditeur des naturalistes, Georges Charpentier, et de son épouse Marguerite, Pierre-Auguste Renoir répond efficacement à une série de commandes, à l’heure où Monet, Caillebotte et Degas manifestent leur désir d’en obtenir. Marguerite Charpentier, qui tient un salon couru, lui commande tour à tour des décorations et des menus pour son intérieur, avant de lui confier des portraits familiaux.
En 1876, Monet est quant à lui convié par le marchand de tissus Ernest Hoschedé à venir peindre au petit château de Montgeron. L’espace d’un été, il exécute pour son mécène quatre compositions de grandes dimensions destinées au décor du grand salon : Les Dindons, L’étang à Montgeron, Coin de jardin à Montgeron et La Chasse. Il décorera plus tard la salle à manger de son marchand Durand-Ruel, une manière plus efficace pour ce dernier de faire acheter l’art impressionniste par « les capitalistes » !



Caillebotte s’engage lui aussi dans la voie de l’art décoratif, en réalisant un superbe triptyque champêtre, probablement destiné à orner les murs de sa demeure d’Yerres, illustrant les plaisirs de l’eau : canotage, baignade et pêche. Jusqu’alors dispersés entre collections privées et publiques, ces panneaux sont pour la première fois reconstitués dans leur ensemble. De Caillebotte aussi, pour sa demeure du Petit-Gennevilliers, figurent les étonnants panneaux décoratifs représentant sa serre d’orchidées, une passion du peintre-jardinier.
L’aventure des arts décoratifs : la fièvre expérimentale
Dans les années 1880, les impressionnistes sont nombreux à s’aventurer dans des domaines techniques où on ne les attendait pas, en explorant d’autres supports comme la peinture sur ciment, un brevet original déposé par Renoir et ses deux associés, et sur soie, ou encore la réalisation de carreaux de céramiques. En se confrontant à d’autres techniques que celle de l’huile sur toile, ils ne craignent pas d’embrasser la voie des arts dits mineurs. Au moment où la France organise l’Exposition universelle de 1878, les impressionnistes rejoignent ainsi les préoccupations de leur temps en appliquant le beau au quotidien.

dans les champs (Soleil couchant), éventail, vers 1883.
Gouache sur soie, 14,5 x 53,5 cm. Collection particulière. Photo service de presse © Musée d’Orsay – P. Schmidt
Le format en demi-lune de l’éventail suscite notamment un grand engouement chez eux. Plus rapides à réaliser et plus faciles à vendre que des tableaux, les éventails ont été une source de stabilité économique pour certains artistes comme Pissarro, qui en exposa un grand nombre à l’exposition impressionniste de 1879, aux côtés des éventails de Degas.
Des fleurs, un peu, beaucoup, passionnément…
La nature et plus particulièrement les fleurs constituent le motif décoratif par excellence des impressionnistes. Cette passion qui lie Caillebotte et Monet se reflète dans des tableaux saisissants où n’apparaissent plus de repères spatiaux. Ni haut ni bas, ni terre ni ciel : les formes et les couleurs deviennent le principal sujet de ces œuvres très décoratives qui évoquent la répétition d’un motif sur un lé de papier peint.

Huile sur toile, 130 x 89 cm. Collection particulière © Christie’s Images / Bridgeman Images
Trouer les murs
Les réflexions impressionnistes sur la décoration n’ignorent pas une grande interrogation du XIXe siècle dans ce domaine : faut-il trouer le mur ? Autrement dit, faut-il considérer que l’œuvre décorative fera oublier la muraille et ouvrira comme une fenêtre vers d’autres réalités, ou faut-il au contraire prendre en compte la planéité du mur et en souligner l’existence ? Monet apporte une réponse magistrale à cette question, avec le cycle des Nymphéas, exposés en permanence au musée de l’Orangerie et conclusion grandiose et immersive de cette aventure du décor impressionniste.
À découvrir avec la journée culturelle Arts et Vie : L’impressionnisme à Paris

Pour aller plus loin
Le hors-série L’Objet d’Art sur l’exposition « Le décor impressionniste. Aux sources des Nymphéas » au musée de l’Orangerie, avec un entretien des commissaires de l’exposition. Intégralement rédigé par Marine Kisiel, docteure en histoire de l’art et spécialiste du sujet.
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Article partenaire avec les Dossiers de l’Art
Par Jeanne Faton
Hôtel de la Marine
C’est à une véritable découverte du Garde-Meuble de la Couronne, jusqu’alors inaccessible au public, qu’invite aujourd’hui la réouverture de l’Hôtel de la Marine. Ce chantier de restauration de grande envergure a rendu aux appartements du XVIIIe siècle leur circulation initiale et dégagé avec soin la plupart des décors d’origine afin de retrouver l’esprit des lieux.
Plus de trois siècles d’histoire…
L’Hôtel de la Marine n’a d’abord été qu’un palais fantôme, une façade destinée à mettre en valeur le génie à la fois d’architecte et d’urbaniste d’Ange-Jacques Gabriel pour l’aménagement de la nouvelle place à la gloire de Louis XV. Plus de trois siècles d’histoire résonnent aujourd’hui dans ses murs…


Construit au XVIIIe siècle par le célèbre architecte, il abrite d’abord, jusqu’en 1798, le Garde-Meuble de la Couronne. Cette prestigieuse institution est chargée de fournir aux résidences royales le mobilier du plus nouveau goût (meubles, tapisseries, mais aussi des pièces d’orfèvrerie, armes et petits bronzes…) comme le mobilier courant. Les deux intendants du Garde-Meuble de la Couronne, Pierre-Élisabeth de Fontanieu, puis Marc-Antoine Thierry de Ville-d’Avray, y résident dans de somptueux appartements offrant une vue imprenable sur la future place de la Concorde. C’est là qu’eut lieu, en 1792, en pleine tourmente révolutionnaire, l’un des « casses » les plus célèbres de l’histoire : le vol des bijoux de la Couronne, un butin estimé à près de 30 millions de francs…
Après la Révolution, l’ancien Garde-Meuble de la Couronne devient, pendant plus de 200 ans, le siège du ministère de la Marine, auquel il doit son nom actuel. Quatre années de travaux administrés par le Centre des monuments nationaux viennent de rendre à l’hôtel les décors de ses appartements du XVIIIe siècle : une métamorphose qui plonge le visiteur dans les ultimes raffinements de l’art de vivre au siècle des Lumières !
La restauration : quand une cuisine cache des boiseries du XVIIIe siècle…


Comment restaurer un lieu historique dont la vocation a changé au fil des siècles et des besoins de ses nouveaux occupants ? Les marins, s’ils ont cloisonné et badigeonné les pièces du XVIIIe siècle, se sont heureusement révélés être d’excellents conservateurs : ils n’ont rien ou très peu détruit ; sous les nombreux repeints, les boiseries d’origine ont réapparu. La découverte la plus spectaculaire fut celle, derrière une cuisine en inox, des boiseries intactes du petit cabinet de Fontanieu. Commandée à l’ébéniste Jean-Henri Riesener, la table mécanique, chef-d’œuvre du mobilier français, qui s’y trouvait à l’origine et qui était conservée au Louvre, a pu y reprendre sa place, avec le secrétaire à abattant assorti, offert par un généreux donateur.
Parmi les temps forts de cette visite des appartements privés, citons encore la découverte du cabinet des miroirs, écrin précieux et doré, entièrement décoré de miroirs peints de guirlandes et d’angelots, ou encore la salle à manger de l’Intendant : autour du célèbre mobilier de Riesener, les décorateurs Joseph Achkar et Michel Charrière ont dressé une table dans le goût du XVIIIe siècle, en s’inspirant du fameux Déjeuner d’huîtres de Jean-François de Troy, peint pour le roi Louis XV et dans lequel le champagne, boisson nouvelle à l’époque, coule à flots… Un audioguide permet de déambuler dans les différentes pièces au fil d’un parcours théâtralisé offrant une expérience de visite inédite très réussie.
La fête continue avec la Collection Al Thani


Outre les appartements XVIIIe, le public arpente aussi les salons d’apparat du XIXe siècle, plus solennels et plus froids, aménagés pour le ministère de la Marine et restaurés il y a quelques années. Un trésor l’attend enfin dans cet écrin retrouvé que constitue l’Hôtel de la Marine : une sélection de 120 œuvres de la collection du prince Al Thani, présentée à travers une scénographie onirique. Voulant démontrer la force unificatrice de l’art à travers les cultures et les civilisations, l’exposition réunit de somptueux chefs-d’œuvre : la tête d’une figure royale d’Égypte ancienne sculptée dans du jaspe rouge (1475-1292 av. J.-C.), une sculpture chinoise en bronze doré d’un ours assis provenant de la dynastie Han (206 av. J.-C. – 25 apr. J.-C.), un pendentif Maya (200-600 apr. J.-C.) ou encore la coupe de jade de l’empereur moghol Jahângîr (1569-1627). L’éblouissement est au rendez-vous !

Pour aller plus loin :
Le Dossier de l’Art écrit par les meilleurs spécialistes et historiens sur l’Hôtel de la Marine, son histoire et ses collections
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Du côté de chez Proust
Par Emmanuelle Bons
Depuis sa réouverture en 2021 suite à la réfection totale de ses espaces, le musée Carnavalet n’a cessé de démontrer que sa réputation d’institution poussiéreuse et surannée appartient désormais au passé. En cette année particulière où l’on célèbre le 150e anniversaire de la naissance de Marcel Proust, ce musée a choisi de rendre hommage à cette figure incontournable de la littérature autour d’une thématique inédite et d’une scénographie innovante. Le plus Parisien des écrivains se voit ainsi mis en lumière dans cette institution dédiée à la capitale afin de souligner la place essentielle de Paris dans sa vie mais aussi dans son œuvre.
Exposer la littérature
Aborder la littérature dans le cadre d’une exposition est un challenge de taille ! Comment parvenir à évoquer les imaginaires, les mondes fictifs, par le biais de représentations concrètes et matérielles. Là où beaucoup d’institutions ont échoué en présentant une accumulation de documents et de manuscrits sans relief, le musée Carnavalet a relevé le défi avec brio ! Il faut dire que les deux hôtels particuliers, l’hôtel Carnavalet et l’hôtel Le Peletier de Saint Fargeau – réunis en un musée qui sert d’écrin à cette exposition – constituent de purs exemples de la délicatesse de l’architecture du XVIIe siècle et illustrent parfaitement le luxe et le raffinement parisien. Une belle entrée en matière donc pour aborder cette plongée dans le temps qui invite à revenir vers l’époque de transition entre le XIXe et le XXe siècle, pleine de promesses en la modernité.
Immersion dans le “Paris fin de siècle”
Dès mes premiers pas dans les espaces d’exposition, je me suis sentie immédiatement immergée dans le Paris des années 1870 où nait Marcel Proust au cœur des quartiers huppés du 16e arrondissement. On y croise pêle-mêle de nombreux portraits et photographies du futur écrivain et de sa famille, mais aussi des représentations des quartiers de son enfance et de sa jeunesse autour du 8e arrondissement qu’il chérit et ne quittera quasiment jamais. On découvre le lycée Condorcet qu’il fréquenta, les Champs-Élysées où il se promenait mais aussi l’opéra, les salons, le Louvre… Un habillage musical qui évoque l’atmosphère à la fois feutrée et frivole de ce Paris fin de siècle ainsi que des accessoires de mode viennent parfaire le portrait de cette jeunesse insouciante, souriante et riche.
Retrouver l’homme

Pièce maitresse de l’exposition, la chambre reconstituée de Marcel Proust a constitué un moment vraiment fort de mon parcours. Avec son éclairage théâtralisé et sa scénographie particulière, cette pièce offre une approche très intime de l’écrivain. Je l’imagine sans mal étendu sur sa méridienne en train de penser ou de travailler, je me représente sa silhouette pâle et maladive dans sa pelisse noire à col de loutre, je frémis en pensant à sa dépouille funèbre dans ce lit à barreaux de métal… Cette salle est vraiment très émouvante pour qui s’est intéressé de près à l’homme autant qu’à l’écrivain. Impossible sans doute d’évoquer l’un sans l’autre. Véritable transition entre les évocations biographiques des premiers espaces et la plongée dans l’univers de la Recherche dans les suivantes, cette pièce symbolise le nœud central de l’exposition, le lieu même de la création littéraire, l’espace de transformation du réel en un monde fictif dense et précis.
À la recherche du temps perdu, un roman parisien ?
Toute la seconde partie de l’exposition est en effet consacrée au Paris fictionnel dans lequel le lecteur déambule au fil des pages de la Recherche. On y retrouve l’espace mondain du bois de Boulogne, l’imaginaire faubourg Saint-Germain ou encore le Paris interlope de Sodome et Gomorrhe… Là encore tableaux, manuscrits, mais aussi films, documents sonores et costumes viennent former un ensemble saisissant qui plonge le visiteur dans un univers que l’écrivain a créé de toutes pièces à partir de son environnement familier. La capitale poétisée par Proust, est le cadre de la quête du narrateur – double de l’auteur – jusqu’à la révélation finale de sa vocation d’écrivain.
À découvrir avec la journée culturelle en France : Sur les pas de Proust au pays d’Illiers-Combray