Majorelle au Maroc : une villa bleue comme une orange

Majorelle au Maroc : une villa bleue comme une orange

Par Emmanuelle Bons

Article précédemment publié dans le Plus d’Arts et Vie #147 – Printemps 2017

 

Au Maroc, pays de désert, de soleil et de chaleur, un jardin est un trésor. Là-bas, riads, palais et villas sont toujours bâtis autour d’un espace vert et d’une fontaine, véritables îlots de fraîcheur et de sérénité. La villa et le jardin Majorelle font partie de ces lieux d’exception où le cours du temps semble s’arrêter, où la rumeur de la ville s’apaise pour ne laisser place qu’au chant des oiseaux et au doux bruit de l’eau. On y pénètre comme on découvre le paradis avec apaisement et émerveillement. Sauvée au début des années 1980 par le couple Bergé-Saint Laurent, cette maison a aujourd’hui trouvé toute la magnificence rêvée par son créateur Jacques Majorelle.

La villa Oasis dans le jardin Majorelle
La villa Oasis dans le jardin Majorelle © L. Jean

Jacques Majorelle et le Maroc

La passion du peintre Jacques Majorelle pour le Maghreb, le monde de l’islam et sa culture naît au début du xxe siècle durant un premier séjour de quatre ans en Égypte. Le fils du célèbre ébéniste Louis Majorelle, figure incontournable de l’Art nouveau et cofondateur de l’école de Nancy, est en effet immédiatement séduit par la lumière si particulière de ces pays de soleil. Mais c’est à Marrakech, où il s’installe en 1919 avec son épouse, qu’il trouve une inspiration toute nouvelle. Les scènes de rue, les vues des souks, les portraits d’autochtones deviennent ses sujets de prédilection. Il acquiert en 1923 un terrain d’1,6 ha près de la palmeraie, dans une zone humide qu’il baptisera Bou Saf Saf en raison des nombreux peupliers qui y poussent ; il y fait construire une première villa de style mauresque ainsi que plusieurs ateliers. Un peu plus tard, en 1931, une villa cubiste conçue par Paul Sinoir sera accolée au premier bâtiment, dans laquelle il installera son atelier au rez-de-chaussée et à l’étage un appartement où il vivra la plupart du temps.

Puis vient le temps pour Jacques Majorelle de s’intéresser au jardin, extrêmement luxuriant. Ce passionné de botanique (on décèle sans doute ici l’influence de son père dont l’œuvre s’est nourrie de motifs naturels) se consacrera entièrement à l’aménagement de ce petit paradis en important des espèces du monde entier avec la volonté de créer une cathédrale de formes et de couleurs”, “un jardin impressionniste. S’y rencontrent palmiers, bananiers, cocotiers, yuccas, cactus, bougainvilliers, jasmins, nénuphars, bambous, papyrus… Le peintre compose son jardin comme un tableau structuré autour d’un long bassin central.

Dans le jardin Majorelle
Dans le jardin Majorelle © C. Chenu
Dans le jardin Majorelle
Dans le jardin Majorelle © P. Gueneguen

Le bleu Majorelle

En 1937, une bien étonnante idée vient à Jacques Majorelle. Les couleurs qu’il aime tant, les couleurs qu’il rencontre dans les souks et dans les paysages, il veut les retrouver chez lui. Il peint donc tout d’abord son atelier en bleu… en “bleu Majorelle” bien sûr. Cette teinte à la fois claire et intense, c’est lui qui l’a créée. Elle devient un leitmotiv dans la propriété. Elle recouvre les portes, les pergolas, les jarres de décoration qui se trouvent dans le jardin, les murs extérieurs des bâtiments… On peut y voir un hommage à l’Orient qui ne tombe jamais dans l’orientalisme facile. Majorelle a su réinventer ce pays qu’il aime tant. Ce bleu est une sorte de double inversé des couleurs locales. Il s’oppose radicalement à l’ocre des maisons de Marrakech : il est froid et sophistiqué quand l’ocre est naturel et chaud, tout comme le jardin est frais et calme quand le reste de la ville est brûlant et animé.

Mais l’artiste se trouve contraint, dès 1947, d’ouvrir une partie de son jardin au public afin de payer ses dettes. Malgré quelques expositions, il ne parvient pas à financer l’entretien de cet extraordinaire jardin. Son divorce en 1956 l’obligera cette fois à diviser sa propriété qu’il doit céder en partie à son ex-femme au terme d’une longue période de conflit. C’est à Paris, loin de cette terre tant aimée, qu’il s’éteindra tristement en 1962 après deux graves accidents de voiture.

La villa Oasis dans le jardin Majorelle
La villa Oasis dans le jardin Majorelle © R. Andro

Une renaissance grâce à Yves Saint Laurent et Pierre Bergé

Peu de temps après la mort de Jacques Majorelle, le couturier Yves Saint Laurent et l’homme d’affaires Pierre Bergé découvrent lors de leur premier séjour à Marrakech ce jardin de paradis. Il est alors ouvert au public mais laissé à l’abandon. Pierre Bergé raconte dans son ouvrage consacré à Saint Laurent : “Nous fûmes séduits par cette oasis où les couleurs de Matisse se mêlent à celles de la nature”. Le coup de foudre fut instantané et extrêmement fort. Voilà pourquoi, en 1980, inquiets de voir ce lieu enchanteur racheté pour être transformé en hôtel, les deux hommes acquièrent la villa pour s’y installer.

Rebaptisée villa Oasis, la propriété de Jacques Majorelle avait besoin d’énormément de travaux tant dans les bâtiments que dans le jardin. Saint Laurent et Bergé firent appel à l’architecte Bill Willis pour les réaménagements intérieurs tandis que les espaces verts furent confiés au paysagiste américain Madison Cox pour l’agencement général et au botaniste Abderrazak Ben Chaabane pour les plantations. Un système d’irrigation automatique fut installé, très élaboré, qui s’adapte selon les heures de la journée et les besoins de chaque espèce. Le jardin rassemble environ 300 essences différentes et sert de refuge à des milliers d’oiseaux. On y aperçoit fréquemment des cigognes, des bergeronnettes grises ou des gobe-mouches gris, et l’on raconte qu’un faucon crécelle nicherait dans la tour.

Dans le jardin Majorelle
Dans le jardin Majorelle © C. Chenu

Depuis 2001, l’Association pour la sauvegarde et le rayonnement du jardin Majorelle assure la pérennité du jardin et l’ancien atelier de Majorelle abrite un petit musée d’art islamique où est présentée une partie de la collection de Pierre Bergé et d’Yves Saint Laurent. Lorsque le grand couturier décède en 2008, Pierre Bergé fait don de la propriété à la fondation qui porte leurs noms. Ses cendres furent dispersées dans la roseraie et une colonne romaine rapportée de Tanger constitua un monument à sa mémoire. Si la notoriété internationale du jardin attire chaque année plus de 600 000 visiteurs venus du monde entier, toutes les écoles du Maroc y sont les bienvenues gratuitement. De plus, les profits qui y sont réalisés permettent de soutenir des projets locaux.

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